Yohann Hautbois mis à jour le 6 juillet 2020 à 19h52
Entre l'OM et Toulon, c'étaient les moissons du fiel - Foot - L'Équipe
À son paroxysme dans les années 1980-1990 et regorgeant d'épisodes brûlants, la détestation entre les fans de l'OM et de Toulon a décliné depuis. Mais le double jeu de Mourad Boudjellal a réveillé de vieilles rancoeurs.
Les années ont défilé, distendu les liens et, comme deux cousins qui aimaient se mettre des peignées plus jeunes, l'Olympique Marseille et le Sporting Club de Toulon ont fini par ne plus se voir, malgré les 65 petits kilomètres entre les deux cités. Mais la volonté de Mourad Boudjellal de mettre un pied dans chacun des deux clubs a rappelé que leur rivalité, « une haine viscérale », pour l'ancien milieu de terrain Bernard Pardo, n'était pas de la flûte, alors que Toulon se morfond en National 2.
Une détestation que personne ne parvient réellement à expliquer, si ce n'est au nom d'une suprématie régionale à défendre, d'un département à l'autre, d'une ville à l'autre. Et sans rapprochement possible, estime Benjamin, un des responsables du groupe ultra Fedelissimi 1998.
Comme d'autres, il a guetté, prié pour l'arrivée de l'ancien président du RCT, avant de déchanter face à sa posture, qu'il voit comme un renoncement de l'histoire : « Mourad (Boudjellal) est toulonnais, il a 60 ans, il a habité à deux pas de Mayol, il a donc connu la rivalité très forte dans les années 1990. Il connaît la haine entre les deux clubs, même si elle est moins forte puisqu'on est tout en bas. C'est comme Lyon - Saint-Étienne, Lille-Lens... Mon premier déplacement à Marseille, c'était en 2003-2004 et, sur le boulevard Michelet, on avait été caillassés. Cela courait dans tous les sens et un Toulonnais m'avait demandé : "Mais tu ne cours pas après les Marseillais ?" Je ne comprenais rien à ce qui se passait. »
Depuis, il a appris, écouté les anciens qui, pour la Coupe de France, en 1966, avaient obligé l'OM à migrer du vieux stade de l'Huveaune au Vélodrome pour accueillir 30 000 personnes. David Balbo, un vrai Toulonnais de 49 ans qui tient un « tabac-presse » à une centaine de mètres de Mayol, n'était pas encore né mais, plus tard, il a croisé ses nouveaux copains, « les Rastas du Bronx. Des supporters toulonnais sympas, pas nombreux mais très fatigués quand on recevait l'OM (rires). Il valait mieux ne pas traîner avec eux. Ils étaient capables de tout, d'envoyer des fumigènes sur les cars. »
Les Marseillais, eux, envoyaient « des fans de Toulon par-dessus la tribune, s'inquiète avec le recul Luigi Alfano, l'historique défenseur varois (de 1978 à 1993) et actuel entraîneur du Sporting (en 1995-1996, en 1998-1999 et depuis 2011). Je m'en souviens bien car nous nous étions arrêtés de jouer. »
Beaucoup plus tard, quand Boudjellal délocalisa les matches de gala du Rugby Club Toulonnais au Vélodrome, il fut accueilli dans les virages par des banderoles de ce type : « Rentre chez toi. » À Mayol, où évoluait les footballeurs de la préfecture du Var auparavant, on maniait bien le langage des tribunes aussi, et les banderoles se voulaient assez claires, quoique un peu monomaniaques : « À l'OM, enculé n'est pas juste une expression mais une réalité » et « OM, la France t'adule, ici on t'encule ».
En tribunes, dans les rues, sur les aires d'autoroute ou même dans les ports, les dérapages faisaient partie du folklore. Pardo revoit la police intervenir dans le port de Toulon « parce que les supporters locaux s'apprêtaient à mettre le car des Marseillais à l'eau. On a évité des drames ! Une fois, je suis sorti à pied du parking souterrain du stade Mayol pour prévenir les Toulonnais que la prochaine voiture immatriculée 13 était celle de mes parents. »
Une tension maximale déclinée sur le terrain, où les derbys étaient chauds, tendus, violents, et que Bafétimbi Gomis, formé à Toulon, avait résumés ainsi, plus tard, dans L'Équipe : « Toulon-OM, c'était comme Saint-Étienne-Lyon, mais en plus malsain. »
« Face à moi, j'avais une armada ! Papin, Francescoli, je les secouais. Je leur disais : "Fais attention à tes jambes si tu veux aller en sélection ensuite" » Luigi Alfano, ancien défenseur et actuel entraîneur de Toulon.
Une opposition de styles, de moyens, une sorte de Coupe de France perpétuelle, avec le petit qui voulait se faire le gros, un constat encore plus marqué avec l'arrivée de Bernard Tapie à la tête de l'OM. Face aux stars marseillaises, les Toulonnais ne pouvaient opposer que leur sueur, leur hargne et leur roublardise. Une équipe de gentils braqueurs, pas des poètes mais toujours prêts à en découdre, comme le rappelle Alfano : « Face à moi, j'avais une armada ! Papin, Francescoli, je les secouais. Je leur disais : "Fais attention à tes jambes si tu veux aller en sélection ensuite." (Rires.) Il y avait de la qualité, en face, il fallait bien trouver des solutions, donc on montrait qu'on était là dès le début, en mettant le pied, le coude. »
Un derby, quoi, « des matches où cela fracassait, où il fallait être solides », se souvient Gilles Rof, journaliste indépendant et correspondant pour le Monde à Marseille. Sans être à sens unique, la détestation serait plus forte en provenance de Toulon, analyse David Balbo, supporter de la belle époque (1986-1993) : « Les Marseillais ont été champions de France, d'Europe, ils ont tout gagné et nous, nous avons passé une dizaine d'années en D1. Le pompon, c'est que l'année où on descend, l'OM est champion d'Europe (1993). Il y a un peu de jalousie de notre part. Mais je crois que les Marseillais ne nous considéraient pas, en fait. »
« Nous n'étions pas une équipe facile à manoeuvrer, mais le principal problème, c'était la composition de l'OM. Rien qu'à la regarder, tu avais mal à la tête » Rolland Courbis, ancien entraîneur de Toulon.
Leur « débarquement » dans la rade toulonnaise (le 28 août 1991) symbolise cette supériorité totalement assumée et Rof, alors journaliste au Provençal, avait couvert ce drôle de déplacement en... bateau. « Les supporters marseillais avaient organisé une traversée sur un bateau qui habituellement dessert les îles. Le stade Mayol étant à côté du port, leur idée était de partir à l'abordage. Certains étaient d'ailleurs grimés en pirate, avec des jambes de bois factices, des bandeaux sur un oeil... Cela picolait, cela fumait pas mal et, à un moment, au milieu de la longue traversée, quand on a commencé à voir les collines du Var, un gars avait sauté à l'eau. Il en parlait depuis un moment "J'ai chaud, j'ai trop chaud, je vais sauter" (rires). Le capitaine était en furie, il avait été obligé de faire demi-tour et, avec ce genre de bateau, cela prend du temps. On a fait envoyer une bouée au gars, qui était remonté.
C'était vraiment n'importe quoi, c'était La croisière s'amuse (rires). Ensuite, on avait connu un temps calme mais, à l'approche de la Rade, tout le monde était redevenu électrique, on vivait un débarquement. À quai, un gros cordon de CRS nous attendait, on était deux cents, cela chantait mais je n'ai pas souvenir d'accrochages avec les Toulonnais. »
Sur le terrain, cette omnipotence était moins évidente et Toulon résistait avec ses moyens, pas toujours loyaux, à l'envie plus qu'au talent, ne se cache pas Rolland Courbis, qui a navigué entre les deux clubs (dont il a été à chaque fois joueur puis entraîneur) : « Nous n'étions pas une équipe facile à manoeuvrer, mais le principal problème, c'était la composition de l'OM. Rien qu'à la regarder, tu avais mal à la tête. Mais c'était un match particulier. Même si tu voulais le dédramatiser, tu ne pouvais pas. Évidemment qu'au moment de préparer les matches, je jouais sur cette fibre, comme pour un PSG-OM. Et sur le terrain, on faisait ce qu'il fallait, on était agressifs, méchants même. Ce n'était pas un cadeau de rencontrer Toulon ! »
De fait, l'OM s'est souvent pris les pieds dans le piège varois, notamment lors de la saison 1991-1992 : champion de France avec seulement 3 défaites, Marseille s'inclina à l'aller comme au retour (1-0) face à son voisin honni. La saison suivante, Daniel Xuereb, transféré de l'OM à Toulon en 1992, eut cette quasi prophétie : « L'OM a trois objectifs cette saison : remporter un 5e titre, gagner la Coupe d'Europe et battre Toulon 2 fois. »
En 1989, Toulon fut sauvé par... Bernard Tapie
« On les a souvent battus et je ne sais pas pourquoi, s'interroge le rugueux Alfano. Peut-être parce qu'on en parlait une semaine avant. La veille du match, on dormait mal, on se languissait. Et Rolland avait les mots, il nous faisait croire qu'on pouvait battre le Real ou l'AC Milan de l'époque. Il nous disait toujours : "Les onze d'en face, je ne les échange pas contre vous". »
Tapie s'arracha les cheveux souvent face à cette équipe de teignes qui lui grattait des points à droite, à gauche : « Les Marseillais ont pu aussi être énervés par le fait que Tapie n'a pas tout de suite gagné, sourit l'actuel consultant de RMC. Il est devenu champion de France la troisième année (1989). Et la deuxième année, Toulon a fini devant (5e avec 41 points, comme l'OM, 6e à la différence de buts). Je me rappelle un 3-3 à Marseille (le 4 mai 1991) : on avait mené 2-0, pris deux buts non valables de l'OM et Tapie avait les boules d'avoir laissé des points contre nous. Mais il pouvait s'estimer heureux ! »
Parfois, de drôles de rapprochements eurent lieu. En 1989 notamment, quand le « club de la rascasse », étranglé économiquement (déjà), fut sauvé par... Tapie lui-même. L'affaire avait été révélée par L'Équipe, le 18 octobre 1990, confirmant « un virement bancaire de 2 millions de francs effectué au profit du club toulonnais ». Démarche limite mais légale, à l'époque. « Oui, nous avions eu un problème de trésorerie et Tapie nous avait prêté 2 , admet Courbis. Cela avait jasé, surtout que cela avait coïncidé avec une défaite de Toulon contre l'OM 0-4 (le 23 septembre 1989). Tout le monde avait trouvé ça bizarre, avec les sous-entendus qu'on imagine. À l'époque, j'avais répondu : "Je ne savais pas qu'on achetait un match avec un chèque". »
Des matches, il n'y en a plus à braquer, ou alors dans les divisions inférieures, entre l'équipe première de Toulon et, suprême affront, la réserve marseillaise, et le résultat importe peu, finalement. La rivalité n'est plus sportive, les luttes se sont déplacées dans des stades de seconde zone, même si le Vélodrome résonne encore des « Bordeaux, c'est des pédés, Toulon des enculés ». De temps en temps, quelques excités de l'OM « descendent » sur Toulon, comme en janvier 2019, pour en découdre et effrayer la population locale.
Les fans toulonnais s'agitent encore aussi et, en mars 2017, toujours lors d'un match entre la réserve phocéenne et Toulon, à Carnoux-en-Provence, « une rencontre à hauts risques » selon la préfecture, soixante d'entre eux arrivèrent à la gare de Cassis avec des barres de fer malgré une interdiction de déplacement. La même décision fut prise en janvier 2019 pour une rencontre au stade Le Cesne, à Marseille. Ce qui n'empêche pas les Toulonnais de se rendre au Vélodrome pour voir du football de haut niveau. Il en coûte à Balbo, dont le fils est fan de l'OM, justement : « Tant qu'il ne me demande pas de porter un maillot de l'OM... »
Bonne lecture 😉😄